Ce
thème des trois principes est repris dans un petit livre intitulé Si je dis Credo,
en rapport cette fois
avec le "Je crois en Dieu"
qui pose à beaucoup de chrétiens de
grandes difficultés.
Quel
rapport pouvons-nous avoir avec l'Évangile ?
Plus
précisément, avec ses quatre textes qui portent ce nom, mais sans les séparer
de ce qui forme avec eux le Nouveau Testament, ni même de l'immense tradition
qui les précède, les accompagne ou les prolonge ?
Ils
ont donné lieu à des commentaires infinis ; on peut s'y perdre. Notre question,
ici, sera toute simple et en somme naïve : qu'est-ce que ces textes nous
donnent à entendre, à nous tels que nous sommes ?
C'est
poser la question de l'entrée. Par où faut-il les aborder ? Histoire, langues
anciennes, théologie, philosophie, sciences humaines, art (tant de peintures, d'œuvres musicales !),
psychanalyse… Possible. Intéressant. Mais nous prendrons un autre chemin : entrer
en l'Évangile par l'Évangile, c'est-à-dire par ce que nous percevons de ce
qu'il veut nous dire, en le lieu qu'il désigne comme le sien.
Et
quel est ce lieu ? À lire (toujours naïvement), c'est l'homme, l'être humain,
en tant qu'il a à vivre dans toutes les dimensions de son être, lui, le
naissant et le mortel, l'éveillé dans le silence des mondes. Un parmi d'autres,
et dans la nécessité de se créer ce qui lui donne de supporter sa condition.
Ce
lieu, c'est celui des initiations majeures, mythes, sagesses, religions,
philosophies. Il est au-delà de toute spécialisation, il englobe tout ou du
moins donne à tout place et sens pour les humains.
Et
dans ce lieu-là, que dit l'Évangile ? Qu'il est bon que l'homme soit né, que
tout être humain peut être sauf, que l'amour est plus fort que la mort, que
s'il y a un Dieu il est tout entier présent en l'homme comme vérité et justice,
que tout est grâce.
Dans
l'antique langage de Jean : Dieu est amour.
Voilà
la clé qui ouvre la porte. Voilà ce qui est à entendre de l'Évangile, transcription
du mot qui signifie heureuse annonce.
Banalité
pieuse ? Vous vous trompez. Car il ne s'agit pas ici d'une chose à croire, mais
d'un principe de lecture et d'écoute. Tout sera à entendre à partir de là. La
conséquence pèse son poids : entendre autre chose, c'est contresens. Quand on
songe à tout ce que la religion dite chrétienne a pu produire, en fait, de
tristesse, de culpabilisation, de violences diverses, de fanatisme,
d'hypocrisie… Mais le point précis, c'est que ces malheurs ont pu être perçus
non comme des déviations, mais comme de justes interprétations de l'Évangile.
Aveuglements, et qui peuvent être de bonne foi, ce qui en vérité n'arrange
rien.
Cela
ne signifie pas non plus que l'Évangile prêche une morale bonasse, dans un
monde où tout le monde serait gentil. C'est à l'extrême opposé. Car cette
parole qui se veut parole de vie se tient dans le lieu des plus grandes
détresses, d'une violence qui va jusqu'au meurtre de celui qui témoigne de cet
amour-là. Et quel meurtre ! Quelle horreur !
Nouveau
péril : d'une croyance comme englué dans cette horreur, créant tristesse en
tout, jalouse de tout bonheur, ennemie de toute joie. Et la foi en la
résurrection ne sert alors que de vision enfermante, puisque que toute joie
humaine doit être renvoyée dans l'impensable éternité.
La
naïveté dont j'ai parlé va tout autrement. Elle veut rejoindre le principe
Évangile, mais pour qu'il agisse.
Ce
sera, d'abord, interprétations. Du texte ? Non. De la vie. Le texte, bien sûr,
et à comprendre autant qu'on peut (avec tous les problèmes que cela pose, de
traduction entre autres). Mais le comprendre vraiment, c'est pouvoir comprendre
par lui ce que nous vivons. Le principe, ici, est principe de signification.
L'Évangile prend vie quand il devient éclairement de l'existence. Mais ce n'est
pas du tout par application, comme si l'Évangile était une règle de vie. On l'a
remarqué : l'Évangile (donc les évangiles) ne donne point de méthode d'ascèse
ou de sagesse, il ne donne même pas de doctrine, si l'on entend par là un corps
bien constitué de concepts et de propositions à admettre. Ce qu'il cherche à
promouvoir c'est l'être humain, une humanité des humains qui soit dans la
clarté que Celui-là donne à la vie.
Mais
la façon de vivre peut changer. La situation de Jésus en son temps n'est plus
la nôtre en ce temps-ci. D'où l'ambiguïté de l'imitation de Jésus-Christ. Si
elle se veut littérale, elle risque de verser à l'artifice, d'être en effet
cette lettre qui étouffe l'esprit. On dira : mais n'était-ce pas là tout le désir
et toute la vie de François d'Assise, par exemple ? Mais le pauvre d'Assise
trouvait moyen de restituer ce qu'on voudrait nommer le charme de Jésus.
L'imiter matériellement n'est pas non plus le moyen, pour tous, d'inaugurer la
Voie.
C'est
nécessairement création, invention ; initiative actuelle pour que la Voie en
effet – premier nom que les disciples donnaient à leur foi – soit
transfiguration du monde est d'eux-mêmes et non la simple répétition de ce
qu'il faut croire et de ce qu'il faut pratiquer.
L'Évangile
est source et non delta fatigué où tout s'enlise. Il ne vit bien que d'être en
chacun des humains le commencement de l'humain et en leur communion l'avènement
toujours jaillissant.
Soit.
C'est aisé à dire. Mais cela aussi peut s'évanouir dans les belles pensées.
Cela n'est réel que dans la confrontation au réel, précisément. Et elle peut se
montrer redoutable pour les belles pensées.
Alors
peut se produire un phénomène étrange propre à troubler celui qui s'y trouve
entraîné. C'est l'effort même connaître la signification opérante de la foi qui
va rendre la foi –insignifiante. Ou même, par la déception qu'elle provoque,
irritante et intenable. L'Évangile, par exemple, prendra sens dans la relation
avec autrui, comme exigence de justice, avènement d'une communion qui n'exclura
personne, soin et bienveillance envers les plus pauvres ou les plus égarés. Ou
encore ce sera, dans la dimension spirituelle, un je ne sais quoi
d'insaisissable auquel on donne accueil pour se délivrer des enfermements. Ou
encore la personne de Jésus, ses paroles, son style, sa façon de vivre et
mourir. Mais le reste ? Au fait, quel reste ? L'Eglise, son credo, ses
institutions, son dogmatisme et son moralisme, sans parler de ses malheurs en
tous genres ? Ou bien est-ce que l'insignifiance n'atteint pas l'Évangile
lui-même, tel qu'il peut s'entendre à partir du Nouveau Testament, sinon en
tout, du moins en certains aspects difficiles à évacuer ? Pour prendre un seul
exemple (mais quel exemple !), le Jugement dernier et ce qui s'ensuit.
Alors,
ne faut-il pas trier, entre ce qu'on garde et ce qu'on abandonne ? Mais c'est
une question piège. Quel critère ? Car si l'on dit : l'Évangile, on se borne à
répéter la question. Alors quoi ? Ce qui est compatible avec l'esprit
contemporain ? Mais c'est réduire la puissance de l'Évangile à la banalité ; et
de plus par un « esprit contemporain » aussi mal défini qu'il est changeant.
D'où la réaction des conservateurs : c'est une destruction de la vraie foi !
Peut-être
faut-il revenir à cette idée simple (mais pas simpliste : la foi, c'est
l'écoute d'une parole. Et qu'est-ce qu'une écoute juste ? C'est celle qui
laisse parler l'autre, qui attentive à ce qu'il dit, qui accepte – voilà le
très décisif – de ne pas le comprendre, d'attendre que cela s'éclaire, ou même
demeure dans l'obscur, sans pour autant juger que ce qui se donne à entendre
soit méprisable détestable.
On
peut le comprendre quand il s'agit de la relation à autrui. Mais c'est encore
plus vrai s'il s'agit de cette parole-là, surtout si l'on juge – acte de foi –
que l'Autre est alors Dieu lui-même.
Est-ce
la solution ? Pas du tout. Car la question du tri n'est pas supprimée. Elle
s'est déplacée. Sa référence est cette parole dont je ne sais pas, d'un savoir
plein et définitif, ce qu'elle veut dire et veut me dire. Je ne puis qu'être
dans ce déplacement, qui me fera quitter ce qu'il faut quitter – les
interprétations malheureuses, les contextes épuisés, les dérives – pour
sauvegarder ce qui est vie.
Car
c'est cela, le principe Évangile.
C'est
vrai : cela ne résout rien. Car c'est seulement poser la question, au-delà de
facilités trompeuses. Mais chacun sait que les vrais changements concernent les
questions plutôt que les réponses.
Et
celle-ci n'est pas une impasse. Elle ouvre un champ infini de recherche et de
pensée, elle exige enfin cette création qui a tant manqué chez les croyants des
temps modernes.
Au
surplus, ce déplacement offre une issue à cette épuisante querelle entre
traditionalistes et modernisant qui a si fortement servi à épuiser la foi
religieuse (et ce n'est pas fini). Aller par là peut modifier le statut de la
religion. Et ce qui, dans une société, modifie la religion modifie tout le
reste.
À
suivre.
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