Où j'en suis...

Donc, j'ai eu 90 ans. Depuis quelques jours.
Ça ne me plaît pas. Pas du tout.
Il me semble que j'ai encore à faire avant le grand départ. Et le temps va me manquer.

Illusion ? Vains désirs ? Rien n'est jamais tout à fait pur chez les humains - dont je suis.

Il me semble pourtant que ce que je désire voir paraître - pas nécessairement par moi, mais du moins à quoi je participerai - c'est du côté de la vie. Et de l'urgence.

Et je commence ce blog. J'écris. D'autres vont passer, certains sans s'arrêter, d'autres en lisant, en m'écoutant. Impressionnant.

J'espère parler plus loin de ce que j'appelle la communauté invisible. En écrivant ici, j'y suis. Ceux qui me lisent (si du moins ils y trouvent goût !) sont avec moi. Ce sont des proches que je ne connais pas et qui, pour la plupart, me resteront inconnus. Relation étrange. Frustrante. Ecrire ainsi, c'est en un sens parler... dans le vide. Et pourtant, ce vide est habité.

C'est déjà la situation où l'on est quand on publie des livres (c'est mon cas !). Mais je l'éprouve ici différemment. C'est comme si le blog autorisait une liberté, un laisser-aller que le livre, composé, conclu, faisant oeuvre, ne permet pas, ou pas de la même manière. Il y faut ordre et composition ; ici, je m'autorise le désordre.

Je commence. J'aime commencer. "De commencements en commencements" : c'est Grégoire de Nysse, je crois, qui a dit cela. Je ne sais pas si je saurai trouver le ton juste, à la fois tout proche de la conversation et suffisamment élaboré pour ne pas verser dans le bavardage et les états d'âme sans intérêt. Du moins je me donne ici le droit de tâtonner, d'essayer, d'abandonner ou reprendre tel thème annoncé, bref d'être dans ce moment de recherche qu'un livre n'autorise guère. Ai-je tort ? Ai-je raison ? On verra.

Où j'en suis ? A la fin de ma vie, bien sûr. Avec le désir, intact, de voir naître, parmi les humains, ce dont l'urgence ne fait que croître : un mode de vie, un mode de pensée (les deux ne font qu'un) qui soit à la hauteur de la crise prodigieuse où nous sommes engagés.

Or, il me semble que cette exigence-là met fin, paradoxalement, à ce qui fut l'une des grandes ambitions des "modernes" : le discours sur (sur Dieu, sur l'être, sur l'homme, sur la science, sur tout), le survol, la place privilégiée du critique qui n'est pas atteint par ce dont il parle. Oh, cette attitude n'a pas disparu. Les plus hyper-critiques savent ce qu'il en est de l'objet de leur pensée ! Et bien sûr, je peux tomber moi-même dans ce travers. Pourtant, ce que nous vivons est tel qu'il s'agit plutôt de tracer chemin dans une immensité, forêt, désert ou océan, que nous ne survolons pas.

J'espère être dans cette humilité, quand offrir une pensée c'est donner à quelques-uns peut-être de quoi éclairer leur expérience.

J'envisage quelques rubriques. Peut-être disparaîtront-elles quand j'essaierai de m'y mettre. Ou bien se déplaceront-elles. Citons provisoirement :

  1. Où j'en suis
  2. La communauté invisible ... de ceux que ne réunit pas une appartenance ou une étiquette et qui pourtant habitent la même région (spirituelle, s'entend)
  3. L'utopie réaliste, c'est-à-dire : ce qui n'est pas prévisible dans le système actuel, mais peut et doit être créé.
  4. Projets : ce que je souhaiterais explorer, décrire, analyser, proposer. Bref, projets de livres.
  5. Foi, sagesse et raison, c'est-à-dire qu'en est-il de ce qui, aujourd'hui, peut paraître encore et orienter et ordonner la vie des humains ?
  6. L'éventail : non pas le discours suivi, mais les thèmes et questions surgissant à partir d'une préoccupation centrale. Un côté "boîte à idées".
  7. Récits et paraboles. Peut-être... Mais cela ne se commande pas : ça vient ou non.
  8. Connexions. J'aimerais que ce blog ne soit pas seulement "mon affaire", qu'il y ait lien avec d'autres. La formule est à trouver ; car le forum "ouvert à tous" risque d'assez vite s'encombrer.
Janvier 2014

La communauté invisible

Qui ? Mes lecteurs ? Il y a de ça. Mais ce que j'évoque est beaucoup plus large.

Je crois qu'il y a de par le monde nombre d'hommes et de femmes qui sont engagés dans le même chemin et partagent la même région, et qui pourtant ne forment pas un groupe visible et repérable. Impossible à désigner par leur appartenance, quelle qu'elle soit. Ce "quelque chose" qu'ils ont en commun échappe aux concepts habituels. Ils peuvent être de croyances, de cultures, de milieux très différents. Hors catalogue, hors statistiques.

Du coup, faute de repères sociaux, ils peuvent se sentir très isolés. Sans personne à qui parler de ce qui vraiment leur importe. Sans groupe ni association, a fortiori institution qui serait décidément leur lieu. Paradoxe : ils peuvent pourtant être bien insérés, actifs, reconnus, liés à d'autres - mais pas par ça.

Et ça, qu'est-ce donc ? Qu'oserai-je risquer, puisque c'est impossible à définir ?
Qu'est-ce donc ? Une certaine attitude, une certaine façon de laisser venir les questions, et les plus graves et les plus dérangeantes, jusque dans ce qui est leur conviction et leur mode de vie. Un dépassement radical de ces deux attitudes, opposées et complices : le style doctrinaire, le style pseudo-critique - deux formes de prétention.

Critiques, ils le sont ; mais jusqu'à critiquer la critique même, quand elle se satisfait d'elle-même : car la seule critique radicale, c'est la création, l'apparition de l'autrement. Dans le monde religieux, ni traditionalistes ni contestataires ; au-delà, dans l'urgence d'une autre disposition de la foi. Facilement en marge, en tout cas aux yeux des autres, demeurés à l'abri ; avec des trajectoires personnelles souvent risquées ; humbles non pas par vertu mais par nécessité. Gens de dialogue, mais d'abord d'écoute. Revenus de presque tout et pourtant incapables de se résigner à la grande défaite, celle où l'humain de l'humain se décompose et se perd.

J'arrête. Je reconnais ce que mon évocation peut avoir de discutable. Car je ne suis pas ici dans un savoir de sociologue - ou de philosophe ; plutôt dans la condition de celui qui ose parler à son prochain, là où la parole savante défaille.

Communauté, disais-je - mais comment communauté si c'est invisible ? Le paradoxe est un peu fort.
Alors, c'est vrai, j'ai rêvé.

Foi, sagesse et raison

Premier point : pas de neutralité possible.
Ici paraît l'illusion critique : croire qu'on peut se tenir en une pensée "objective" qui n'impliquerait pas tout ce qu'il en est du "sujet".

On est neutre pour ce qui n'a pas d'importance. Pour le grave et l'essentiel, impensable. On n'est pas neutre devant Auschwitz. Ou alors !...

Il faut bien qu'il y ait un absolu. Mais le grand problème des humains, c'est de ne pas savoir où il est. La ligne de séparation change. L'impossibilité et l'interdit ne sont pas fixés.

Où suis-je ? D'où est-ce que je parle ?
Immédiate difficulté, dont je finis par penser qu'elle est insoluble, si l'on prétend lui donner une solution qui ferait disparaître la question. On ne peut qu'habiter la question de façon vivante et vivifiante, et non mortifère.
C'est, bêtement, l'opposition du particulier et de l'universel. On est toujours "quelque part", il n'y a pas d'humain qui soit l'idée d'humanité ; il est chair ou il n'est pas. Mais la pensée veut l'universel : tout  l'humain et tous les humains.

Comment tenir les deux ?
Question absurde tant qu'on est dans la dépendance d'un système totalisant (quel qu'il soit). Question voilée dans bien des dialogues, où ce qui tient lieu d'universel est... une volonté de dialogue - qui survole les différences.

Il y a des cas où la question est forte. C'est le mien. Il se trouve que mon lieu, mon lieu essentiel (du moins je le crois et l'espère), c'est la foi chrétienne. Voilà qui situe avec force ! L’Évangile n'est soluble dans rien d'autre ; c'est une parole, c'est un homme, un nom qui se disent avènement de l'inouï, et au-delà de toute particularité, pour tous les humains. Comment concilier cela avec cette ouverture, cette diversité que semble exiger l'universel (et le dialogue) ?

Il n'y a pas de conciliation.
Il y a, c'est vrai, deux positions possibles, aussi mauvaises l'une que l'autre : la prétention des chrétiens à posséder, seuls, la Vérité ; tout le reste est erreur ou attente. Ou le christianisme enfin en accord avec la mentalité contemporaine ; tout ce qui, en lui, résiste à cet arrangement doit se défaire.
Deux façons de voir qui ont cet avantage : ça ne coûte rien, on est à l'aise, c'est immédiat (je l'entends du fond ; car bien sûr, on peut développer, publier, débattre... et mener sa vie dans un style ou dans l'autre).

S'il n'y a pas de solution, quel chemin ?
Je crois bien que tout ce que j'ai écrit (ou pourrais écrire) est dans l'espace de cette question.

A suivre...