Qu'est-ce qui nous
reste ? Qu'est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Ceci : que nous soyons
humains envers les humains, entre nous demeure l'entre-nous qui nous fait
hommes.
Car si cela venait à
manquer, dont le rayon dans l'abîme, non pas du bestial, mais de l'inhumain du
déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait.
Cette mutuelle et
primitive reconnaissance, c'est en un sens banal et l'ordinaire de la vie.
C'est ce qui s'échange
dans le travail partagé, dans les gestes simples de la tendresse, dans les
conversations au contenu peut-être dérisoire, mais où pourtant l'on converse,
face à face, présents pour s'entendre.
[...]
Il arrive à certains de
ne goûter que l'absence et l'épreuve.
Si quelqu'un se trouve
alors sans Dieu, sans pensée, sans images, sans mots, reste du moins pour lui
ce lieu de vérité : aimer son frère, qu'il voit.
S'il ne parvient pas à
aimer, parce qu'il est noué dans sa détresse, seul, amer, affolé, reste du
moins ceci : de désirer l'amour.
Et si même ce désir lui
est inaccessible, à cause de la tristesse et la cruauté où il est comme
englouti, reste encore qu'il peut désirer de désirer l'amour. Et il se peut que
ce désir humilié, justement parce qu'il a perdu toute prétention, touche le
cœur du cœur de la divine tendresse.
« Ce n'est pas sur ce
que tu as et sais ni sur ce que tu es que te juge la miséricorde, c'est sur ce
que tu as désir d'être. »
Il n'y a pas d'homme
condamné.
Incipit,
pp. 8-9 ; 76-77
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