La tendresse est amour de tout ce qui est, jubilation
de toute naissance, désir encore et encore que tout vivant vive et donne son
fruit.
Elle est joie de tout visage et de toute voix et
parole humaine, homme ou femme. Elle a faim de donner, à qui manque, tout ce
qui peut nourrir sa faim. Elle ne juge pas. Elle ne prend pas. Elle ignore la
cruauté.
Elle donne. Non parce que ceci ou pour que cela,
mais parce que telle est sa nature. Elle ne donne pas pour reprendre.
Ainsi la détresse fond et l'horreur même peut être
reprise et repétrie. Qui goûte la tendresse, même mort, peut naître. La
tendresse enveloppe tout l'être de tout être. Elle enveloppe l'injustifié, la
misère, la faute, la détresse. Quiconque est en elle se trouve justifié d'être
et ce qui le condamnait tombe hors de lui.
La tendresse est le labeur incessant pour que tout
enfant d'humain, homme ou femme, ait sa mesure et sa grâce. A chacun selon ses
besoins ! A chacun selon le don qui est en lui — qu'il déploie gaiement toute
sa puissance ! La tendresse est grâce : elle ne force rien, elle ne se raidit
pas par devoir et volonté, elle ne s'impose pas, elle n'envahit pas la vie des
autres, elle ne larmoie pas, elle ne disserte pas, elle n'explique pas. Elle
est simplement là, ferme et agissante, bon espace libre où respirer, nourriture
première du cœur des vivants.
La tendresse n'agit pas comme agissent les
pouvoirs. Elle se tient avec distance et réserve, elle laisse à qui a faim de
vivre tout son espace de vie, à qui a faim d'être entendu tout son espace de
parole, elle laisse être, enfin, sans réserve et sans mesure.
Elle est douceur, plaisir d'être ensemble, travail pour le bien,
franchise et gaieté.
La tendresse est le réel, c'est les choses et les
gens, c'est le visage du monde, la mémoire, le rêve et le poids des jours.
C'est la table servie, le vin versé, les convives,
la parole entre eux, la paix.
C'est la lumière entre les arbres, au commencement
du matin.
C'est le souffle profond, quand vient l'heure du
soulagement et de la vérité.
C'est le corps aimant, c'est la marche au bord de
la mer, c'est la veillée à la maison, c'est le premier jour et la cent millième
fois.
C'est la foule et le solitaire, c'est le travail,
c'est la douleur, c'est la détresse elle-même : car la tendresse sauve tout.
De quel amour aime donc la tendresse ?
Cet amour est le pur laisser-être qui coïncide avec
la volonté et la poussée la plus pressante du désir que l'autre soit et sorte
du piège de tristesse et avance gaiement sur sa voie ; mais c'est désir sans
hâte et comme sans désir, poussée qui ne pèse rien, appel qui sait demeurer en
silence.
C'est l'espace offert et le temps libre, afin qu'il
y ait place et temps pour la Voie.
C'est préférer que
l'autre soit plutôt que non. C'est l'émerveillement qu'il soit, tel qu'il est.
C'est croire en lui plus qu'il n'y croit lui-même. C'est espérer avec foi que sa
voie s'ouvre devant lui et qu'il y sera bon et puissant. C'est l'aimer ni de
tête, ni de coeur, ni de vouloir — mais avant ! Puisque si quelqu'un aime
ainsi, son amour est lui-même, tout entier là.
Et c'est lui-même tout entier là s'effaçant, pour
que demeure seulement, à qui la désire, la Voie.
Maurice BELLET, La Voie, Seuil,
Paris, 1982, pp. 35-36; 44; 50
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